Vendredi 1er novembre 2019
Homélie du père Petitclerc
Voici donc que dans la cacophonie assourdissante des voix si nombreuses dans notre monde d’aujourd’hui qui, à force de publicité, ne cessent de nous répéter « heureux ceux qui ont, heureux ceux qui possèdent argent, diplôme, résidence secondaire, voiture de sport », voici que surgit, un peu à la manière de la cime qui se dégage du brouillard qui l’enveloppe, une parole neuve : « Heureux ceux qui manquent ! ». Oh je sais combien cette parole peut paraître folle aux yeux de beaucoup dans ce monde ou tout s’achète. Mais je sais aussi que cette parole peut couvrir de confusion tant de discours faciles qui se prétendent sages, car le bonheur de recevoir, lui, ne s’achète à aucun prix. Et il s’agit là, sans doute, d’une des harmoniques fondamentales de cette bonne nouvelle que Jésus est venu apporter au monde et que le monde a tant de mal à entendre : l’important, en terme de bonheur, ce n’est pas ce que l’on possède, mais ce que l’on échange. Ce n’est pas ce que l’on a, mais ce que l’on donne et ce que l’on reçoit. Et seul le manque peut permettre l’échange. Voilà pourquoi Jésus nous dit que celui qui manque est sur le chemin du bonheur, alors que celui qui est enfermé dans les richesses ne sait peut-être même pas que le bonheur est un chemin.
Oui, heureux les pauvres… Entendons-nous bien ! Il ne s’agit pas d’aimer la pauvreté pour la pauvreté, encore moins de s’y complaire, car comme le dit un célèbre théologien : « la pauvreté chrétienne, expression d’amour, est solidaire des pauvres, et protestation contre la pauvreté ». Car, Il savait bien lui, Jésus, qui n’a cessé sur les routes de Palestine de guérir tous les malades qu’Il rencontrait (et la maladie est peut-être la forme la plus extrême de pauvreté), Il savait bien qu’on ne peut être réellement pauvre qu’en luttant contre la pauvreté.
Pauvreté et amour. Deux mots qui riment bien ensemble. Car s’il est quelque chose qui jamais ne peut être possédée, mais seulement donné et reçu, c’est bien l’amour. Lequel d’entre vous aurait la folie de dire « j’ai l’amour de ma femme », ou « j’ai l’amour de mes enfants » ? S’il raisonnait ainsi, il serait sur le chemin de le perdre. L’amour on le reçoit et on le donne.
Oui, bonheur pour toi si tu manques de quelque chose, car tu sauras goûter le bonheur de recevoir. Bonheur pour toi si tu manques de quelqu’un, car tu sauras goûter le bonheur d’aimer. Bonheur pour toi si tu manques de Dieu, car tu sauras découvrir le chemin qui y mène.
Heureux les pauvres. Première des béatitudes qui contient, en germe, toutes celles qui suivent.
Heureux les doux, car avec Don Bosco tu découvriras alors, que le jeune qui se serait rebellé contre toi s’il s’était senti agressé par ta peur ou ton mépris, ne résistera pas à la force tranquille de ton regard posé sur lui non pas pour le juger, mais pour le comprendre, non pas pour le mépriser mais pour l’aimer.
Heureux ceux qui pleurent. Parole difficile à entendre pour celles et ceux d’entre nous qui un jour ont connu l’épreuve du deuil ou de la maladie. Le bonheur que nous promet Jésus ne consiste pas en l’illusion d’un monde sans souffrance. Il sait, lui comme nous, que nous la rencontrerons sur notre chemin d’hommes et de femmes. Mais il sait aussi que c’est peut-être celui qui a connu la peine qui peut le plus goûter au bonheur, que celui qui a connu la maladie peut goûter à la joie de la guérison.
Heureux ceux qui ont faim et soif de justice. Nous savons combien dans notre société contemporaine l’injustice est la mère de tous les maux. Combien il n’est pas si facile d’être au quotidien un homme, une femme juste, alors que souvent les plus belles valeurs sont réduites à n’être aujourd’hui que slogan de politiciens en quête d’électeurs !
Heureux les miséricordieux, car seule la capacité à pardonner peut nous permettre d’échapper à la spirale haineuse de la vengeance et de la violence.
Heureux les cœurs purs. Parole qu’il fait bon d’entendre aujourd’hui en cette époque si paradoxale, où les médias ne cessent de nous alerter sur la qualité de l’air que nous respirons, sur la qualité de l’eau que nous buvons, sur la qualité des aliments que nous ingurgitons. Et ces mêmes médias n’ont que faire de la pureté du cœur de nos enfants, de nos adolescents, en déversant sur leurs écrans des flots d’images pornographiques.
Heureux les artisans de paix. La paix, c’est le nom de Jésus. C’est ainsi qu’Il se faisait reconnaître, ressuscité, lorsqu’Il venait surprendre ses amis sur leur route. La paix, Il nous la donne, non pas à la manière du monde, une paix fondée sur l’équilibre des forces, mais à Sa manière, une paix fondée sur l’acceptation profonde de la différence de l’autre, avec cette conviction que la différence peut être source d’enrichissement pour tous.
Heureux serez-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute. Le chemin des béatitudes n’est pas un chemin facile. Il sait bien, Lui, Jésus, que celui qui met ses pas dans les siens recevra incompréhension et ironie. Si la première des béatitudes contient en quelque sorte la clé de compréhension, la dernière contient la clé de vérification. Si tout le monde dit du bien de toi, c’est que tu t’es écarté de ce chemin de bonheur que sont les béatitudes.
Ce chemin de bonheur, c’est lui le chemin de sainteté. C’est ce que nous rappelle notre pape François dans son exhortation apostolique, Gaudete et exhultate. Il nous dit que les béatitudes doivent être la carte d’identité du chrétien, qui est appelé à devenir saint. Il ne cesse tout au long de ces pages de nous redire que la sainteté c’est un projet pour tous, pour chacune et chacun d’entre nous, quel que soit notre âge, quelles que soient nos conditions de vie. Oui, le Seigneur nous appelle tous à devenir saint. Autrement dit, à réussir pleinement notre vie d’homme, de femme, aimé de Dieu. Et la sainteté, pour notre pape François, rime avec bonheur.
Telle fut l’intuition principale de Don Bosco, sur le plan éducatif et pastoral. Découvrir que chaque jeune, quel que soit son âge, quelles que soient ses conditions de vie, quels qu’aient pu être ses écarts comportementaux, que chaque jeune est appelé à devenir saint.
L’adolescent qui, sans doute, a le mieux compris la portée de ce message, avait pour nom Dominique Savio. Il était venu trouver Don Bosco, lui demandant : « Aide-moi à devenir saint. ». Il était prêt à toutes les mortifications, mais Jean Bosco lui a évité cette route de la radicalisation. La sainteté, comme le rappelle le pape François, se vit au quotidien. Et Don Bosco de prodiguer trois conseils à Dominique : « Sois joyeux, fais ton devoir au quotidien, sois ami de tous ». Et Dominique de répercuter ce message à tous ses camarades de l’oratoire, en disant : « Sache qu’ici, nous faisons consister la sainteté à être toujours joyeux ».
Sta’ Allegro. Tel est le slogan, je crois, que vous avez retenu pour cette journée anniversaire. Permettre à chaque enfant, chaque adolescent, chaque adulte, de savoir qu’il est sur cette terre pour connaître le vrai bonheur. Non pas un bonheur factice qui proviendrait de la possession de l’objet convoité, mais le bonheur réel, celui dont Jésus nous indique qu’il a pour nom « béatitudes ».
Oui, puissions-nous vivre tout au long des événements qui vont marquer cette fête de Toussaint, ici, en cette école de vie, qui a choisi Don Bosco comme patron, puissions-nous vivre ces trois jours dans la joie et le bonheur partagés ! Amen !