Accepter une fin de vie à la naissance ne signifie pas ni ne justifie l’euthanasie. | École de vie Don Bosco

Accepter une fin de vie à la naissance ne signifie pas ni ne justifie l’euthanasie.

Envisager la fin de vie de quelqu’un au tout début de sa vie est une démarche qui n’est ni naturelle ni aisée, que ce soit pour les parents ou pour les soignants, a fortiori dans des lieux (telle la maternité) habituellement dédiés à l’heureux événement que représente la naissance d’un enfant. Il est donc parfois difficile ne serait-ce que d’en parler !

Enseignant à l’École de Vie Don Bosco depuis sa création (et partie prenante avant les débuts) le professeur Sapin nous fait part de son expérience au CHU de Dijon. Dans le cadre de l’École de Vie, il donne des cours sur les sujets suivants : embryologie, diagnostic anténatal, éthique médicale (problèmes éthiques posés par le diagnostic anténatal, la prise en charge des grands prématurés, le diagnostic de handicap, les problèmes de différenciation sexuelle, la bioéthique).

Spécificité de la période néonatale

Professeur SAPIN Chef de service _MG_3603Les progrès effectués durant les quarante dernières années dans la surveillance des grossesses à risque, dans la réanimation et les soins intensifs en néonatalogie, ont permis une baisse de la mortalité périnatale. Une meilleure connaissance du développement fœtal et du prématuré a permis d’éviter au maximum les séquelles induites par la grande immaturité de leur organisme et celles  des techniques de soins intensifs résultant parfois d’une obstination déraisonnable.

Malgré cela, certains nouveau-nés ne survivront pas et d’autres survivront au prix de très lourds handicaps, en grande dépendance, en faisant porter un très lourd fardeau sur les épaules de leurs parents, de leur famille.

Dans ces circonstances et en l’absence de possibilité  thérapeutique, se pose le problème d’une attitude qui pourrait entrainer la mort du nouveau-né par l’abstention de réanimation, l’arrêt de réanimation nécessaire au maintien de la vie, ou l’interruption de vie. Mais il existe une différence entre ces trois attitudes. L’abstention ou l’arrêt d’une réanimation correspondent au refus ou à l’arrêt d’un artifice pour laisser l’évolution suivre son cours naturel. C’est donc, ici, l’état physique du nouveau-né qui est cause de sa mort, et non l’absence ou l’arrêt de la réanimation. Par contre, lorsqu’un nouveau-né a acquis son autonomie de vie, en particulier respiratoire, décider d’un arrêt de vie en raison de handicaps présents et futurs escomptés, relève de l’euthanasie.

Chez le nouveau-né, la pathologie qui conduit à envisager un renoncement thérapeutique est rarement une maladie évolutive spontanément fatale telle que rencontrée plus tard dans la vie (cancer par ex.). Il s’agit plus habituellement d’une pathologie d’origine congénitale – telle une malformation – ou périnatale – un accident cérébral de l’extrême prématurité, une asphyxie. Ainsi, il n’est pas fréquent d’avoir à prescrire des antalgiques à forte dose – le problème qui se pose étant plus couramment celui du confort du nouveau-né. Cette pathologie fait peser sur l’enfant le risque de décès ou de survie lourdement handicapée, avec toutes les difficultés de quantifier la durée de vie ou la future qualité de vie de l’enfant.

Qu’il ne soit pas dit, cependant, que les problèmes éthiques néonataux soient nouveaux, rançons des progrès médicaux périnataux : les problèmes posés par les états critiques et les malformations ont toujours existé et concernaient des mêmes pathologies et situations différentes.

Ce qui se fait et se vit aujourd’hui

En période néonatale, deux situations posant le problème de fin de vie, peuvent être rencontrées : soit le problème a pu être abordé durant la période anténatale avec l’Obstétricien et les parents, après que l’information leur ait été donnée, font le choix de ne pas recourir à l’IMG, soit la situation critique est révélée à la naissance, comme cela peut être le cas pour les très grands prématurés, des accidents de la phase néonatale ou les nouveau-nés porteurs de graves malformations non détectées en anténatal. En ces cas, durant la période des quelques heures succédant à la naissance, il est souvent difficile, si ce n’est impossible, de prévoir avec certitude l’avenir de l’enfant. Cela rend ce moment peu approprié pour la résolution des dilemmes éthiques. C’est alors le principe de la ²réanimation d’attente² qui est entrepris. Ce n’est qu’après les examens, les discussions de l’équipe, et l’information des parents et leur écoute, qu’un arrêt de réanimation ou des traitements de support vital peut être éthiquement justifié, et ce, dans trois contextes : la proximité inévitable de la mort, un traitement disproportionné, ou une survie possible dans des conditions très mauvaises. Dans le premier cas, il est anormal de prolonger une agonie. Dans le deuxième cas, la lourdeur des traitements entrepris pourrait être assimilée à un acharnement thérapeutique. Les principes de bienfaisance – en pensant au bien présent et futur de l’enfant – et de non-malfaisance – évitant ce qui lui est nuisible – sont primordiaux. Enfin, et c’est sans doute le point éthique le plus délicat, un arrêt de traitement peut être décidé bien que ce traitement puisse sauver la vie du nouveau-né, parce que la vie ainsi sauvegardée par une intervention artificielle, sera marquée par des déficits entrainant des handicaps très graves, une très lourde épreuve pour l’enfant et sa famille. Le problème est l’appréciation du seuil de handicap qui est jugé supportable et celui qui ne l’est pas. Cette notion de qualité de vie est un jugement bien difficile, appréciée pour autrui et dans un contexte, souvent, d’incertitude de pronostic exact.

Situations de particulière gravité

Il est indiscutable que certaines situations sont extrêmement préoccupantes et que, même si un certain degré d’incertitude demeure sur l’avenir de l’enfant, des critères pronostics permettent de connaître de manière assez fiable la gravité du handicap dont l’enfant est menacé, dans les situations les plus graves. Aux regards du critère de la qualité de vie de l’enfant, certains peuvent penser que telle ou telle vie ne vaut pas la peine d’être vécue (un handicap très lourd, une maladie connue rapidement dégénérative) et que le mieux – ou le moins mal – serait de mettre fin à ses jours.

Pour autant, l’attitude médicale doit rester d’accompagner son patient et non de le faire mourir, de savoir allier compétence et humanisme. La qualité d’une Société se mesure, en grande partie, à l’attention qu’elle porte aux plus défavorisés. La Société regarde le comportement des personnels soignants et y lit le reflet de ses propres valeurs. Quel regard va-t-elle porter sur la personne handicapée si la crainte du handicap conduit à supprimer la personne atteinte ? Les conséquences tant psycho-affectives que financières et organisationnelles, que peut avoir l’arrivée d’un enfant très handicapé dans une famille, prend toute son acuité quand les moyens d’accompagnement et d’insertion sociale des personnes handicapées et leurs familles ne sont pas à la hauteur des souhaits exprimés par les pouvoirs publics. Ainsi, une société peu encline à développer des structures d’accueil pour les enfants très lourdement handicapés, favorise plus facilement, à pathologie égale, le recours à un arrêt de réanimation qu’une société engagée à assumer culturellement et financièrement les difficultés que les familles et les enfants auront à vivre. Ne risque-t-on pas, à l’inverse, d’être guidés par une certaine image du bonheur et de la perfection, volontiers véhiculée par les médias ?

Il est grandement à craindre qu’une légalisation de l’arrêt de vie volontaire en période néonatale conduira à une normalisation des attitudes sur des critères techniques et fera perdre la dimension personnelle du patient, fut-il très grand prématuré très immature, porteur de malformations ou d’anomalies génétiques graves. En réalité, ces cas demeurent très rares, mais une légalisation de l’euthanasie néonatale conduirait inéluctablement à une augmentation notable de ces actes d’arrêt de vie, supprimant une vie humaine et, en outre, l’espoir d’amélioration et les progrès médicaux. En effet, l’état d’esprit du médecin qui commence par garder espoir et veut offrir sa science, son expérience et ses idées novatrices, a permis les progrès de la médecine dont nous bénéficions tous aujourd’hui. Ainsi, les progrès dans la prise en charge des cas jugés à l’époque pratiquement perdus et qui nous paraissent aujourd’hui gérés en pratique courante l’ont été grâce à cet esprit de donner à chacun une chance et de se battre pour son patient.

Or, l’acceptation légale de mettre volontairement fin à une vie, même si  celle-ci était encadrée de barrières précises et restrictives, aura inéluctablement pour conséquence d’ouvrir cette possibilité comme un droit dont des parents pourraient, dans leur souffrance, faire grief au médecin néonatalogiste. Celui-ci, dans la crainte d’entrainer la survie d’un enfant ultérieurement lourdement handicapé hésitera à garder l’attitude actuelle de prise en charge médicale systématique de tout nouveau-né en état critique pour lui donner sa chance. Ce sera l’inversion du principe de précaution qui pendant tant de décennies a  permis les progrès de la médecine. Et l’on sait, en toute humilité, le caractère aléatoire de la prédiction en médecine.

Légaliser l’arrêt de vie en période néonatale correspondrait à réduire la valeur d’une vie, d’une personne, à l’aune de son degré d’autonomie et de ses seules capacités et performances.

Pr Emmanuel SAPIN
Chef de Service de Chirurgie Pédiatrique et Néonatale
CHU de Dijon

Article paru partiellement dans Le Figaro du 13 février 2014